13h30. XIXème arrondissement. Hôpital Robert Debré. Service gynécologique.

Des ventres ronds. Partout. De toutes les couleurs. Prêts à éclater.

Et pis des marmots, aussi. Partout.

Je me sens un peu comme sur la planète Mars. Un peu exclue. Un peu paria.

Je suis dans le temple de la fécondité. Et je viens exactement pour que ce genre d'évènement ne m'arrive pas.

Je reste songeuse un temps. Envieuse. Et si...

Retour à la réalité[1].Faut pas déconner non plus. Qu'est-ce que j'en ferais ?!

Bref, reprenons les choses sérieuses. Je me concentre sur la télé. Sur la pub Lactel avec une femme enceinte entourée de son mec et de sa fille. La pub Blédina. La pub Pampers... P'tain ! Mais ils se sont donnés le mot ou quoi ?! J'espère que les femmes venant pour un IVG ne passent par la même salle d'attente !

on nom est enfin appelé. Une gentille madame à l'accent charmant, mais pas toujours très compréhensible, m'accueille, se présente, me demande pourquoi je suis venue, lit la lettre de mon gynéco et finit par me tâter le bras. Elle a les mains très froide. Elle conclu le tripotage en disant qu'effectivement l'implant a été mal posé, et un peu profond, mais qu'on devrait pouvoir éviter le bloc opératoire.[2]Je souris. Un peu crispée. Elle m'annonce que je vais devoir retourner en salle d'attente[3], en attendant qu'un collègue puisse venir l'aider à extraire le corps étranger.

Bon. Pas de problème. De toute façon j'avais décidé de ne pas retourner bosser cet après-midi. Alors, j'attends. Une heure.

Mon nom est de nouveau appelé, la gentille madame a été rejointe par un médecin des urgences pour traiter mon cas.

On me demande de m'allonger sur la table. Heureusement, on évite de me faire passer les pieds aux étriers. Gants stériles enfilés. Bétadine abondamment badigeonnée. Seringue d'anesthésiant d'une main. Scalpel de l'autre. Pince encore dans une autre. Compresses dans les dernières. Au total beaucoup de mains pour mon seul bras.

L'"opération" commence. Après m'avoir anesthésié le bras, la dame incise mon bras. Elle pousse un peu sur l'autre côté de l'implant au cas où celui-ci déciderait de sortir miraculeusement par ses propres moyens. Rien. Bien entendu. Qu'à cela ne tienne, il y a une pince à portée de mains, on va l'utiliser. Je sens la pince remuer dans mon bras. On ne peut pas dire que je sois vraiment complètement totalement anesthésiée... Je la sens BIEN la pince. Un peu trop à mon goût. La dame commence à pester. S'énerver. Suer.

- "Mais il est vraiment trop profond ! En plus il glisse et change de place ! Sens, maintenant il est plus haut !"
- S'il glisse dans un sens, il doit bien pouvoir glisser dans l'autre...
- Rhaaa ! Et pis plus j'essaie de l'attraper, plus il s'enfonce !!! Essaie toi !"

Le temps de cet échange, je reste à peu près stoïque. Vient le tour de l'homme qui va tenter à son tour d'extraire l'implant installé depuis maintenant 3 ans au creux de mon bras. La configuration change un peu. La femme tient mon bras à deux mains, poussant l'implant d'un côté et de son autre main serrant mon bras de l'autre côté pour l'empêcher de glisser plus bas. C'est du moins ce que j'imagine. Pendant ce temps, j'observe conscieusement le plafond désespéremment vide de toute aspérité.

- "Il est bien enfoncé maintenant. Il faudrait inciser davantage. Un peu plus haut."

Faites ce que vous voulez mais sortez moi cette chose de mon bras. Plus les mouvements de la pince dans mon bras se font sentir, synonymes d'impuissances des deux médecins, et plus je sens comme un léger vent de panique d'insinuer en moi. "Pinaise, ils vont pas réussir à me l'enlever ! Je vais devoir passer sur le billard !! Pinaise de pinaise !".

- "Ah mais il est vraiment bien installé là. Il a pas envie de sortir. On dirait qu'il se sent bien, là, en vous."

Ben oui, mais bon, là vous vous trompez de service jeune homme. C'est le genre de parole qu'on prodigue à une femme sur le point d'accoucher d'un enfant... pas d'un implant !!!

La pince ripe. Je la sens très très bien. Je ne peux réprimer un AÏEUH !

- "Ah ? vous l'avez senti ?"

Ne pas répondre... Encaisser. Je veux me débarasser de ce truc. D'ailleurs une p'tite voix au fond de moi commence à me chuchoter "T'es sûre de vouloir t'en faire reposer un ?"...

- "Ah !!! Je l'ai !!!"

Soulagement.

- "Zut... il vient de m'échapper...

Regard compatissant vers moi :

- On va bientôt l'avoir. Il est presque sorti.Je vais inciser un peu plus."

Sourire. Et re-bulldozer dans le bras. A partir de cet instant j'ai un peu perdu la notion du temps. Je suis devenue complètement désespérée et je me suis dit qu'une fois de plus j'allais repartir le bras ouvert, toujours l'implant implanté, mais qu'au moins j'avais gagné une après-midi sans boulot. On se console comme on peut.

- "Ca y est ! On l'a eu ! Vous pouvez souffler"

Hein ?! Quoi ? comment ? I beg your pardon ? Could you repeat please ? Qué se pasa ?

Et là je le vois. Coincé dans la pince. Ce putain d'implant ! J'ai failli lâcher une larme de soulagement[4] Mon regard s'emplit de reconnaissance éternelle pour mes deux bouchers.

Le p'tit gars des urgences s'en retourne à ses urgences, non sans avoir précisé qu'il me faudrait un point de suture et un traitement antibiotique pour quelques jours. Oui, mais je m'en fous puisque mon implant est enfin retiré !! Ah ah !

Ah ah... oui, mais y en a un autre à remettre...

Et là, la p'tite dame anticipe en me disant qu'il faudrait attendre une quinzaine de jours pour me poser l'autre car le bras a été un peu traumatisé.

Me v'là repartie pour au moins un 4ème épisode et un retour temporaire à la pillule d'antan, car évidemment je suis dans ma période "bien mûre pour un bébé".

Notes

[1] Pas aussi rapide qu'il l'aurait fallu

[2] Hein ?! Quoi ?! Bloc opératoire ?! Chirurgie ?! Grosse cicatrice ?!

[3] Au milieu des ventres énormes

[4] Non, là c'est juste pour marquer le happy end, je ne pleure pas inutilement pour ce genre de chose.